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Vinofiction d'Emilie Tourette-Brunet, vigneronne en Anjou

[Vinofiction #1] Pecca, Emilie Tourette-Brunet

Dernier jour aujourd’hui ! 3 ans que je cours tous les matins pour arriver dans la zone d’activation à 4h piles. Je n’ai jamais été du matin. J’ai beau avoir tous les réveils disponibles, je n’y arrive pas. Une forme de léthargie me prend, m’enserre et me replonge dans l’univers de Morphée. Ma montre, qui hait les retards, me secoue jusqu’à détecter le Solitram qui me déposera devant les  vignes. Une fois dedans, je peux encore somnoler un peu.

Je passe rapidement vérifier que les piles gravitationnelles n’ont pas besoin d’être rechargées par les éoliennes. J’adore entrer dans ce vieux puits d’extraction d’ardoise. Sa profondeur génère une puissance suffisante pour cultiver la vigne de manière autonome : alimenter les serres de protections blindées qui se ferment en cas de grêle, de gel, lors des traitements, le climatiseur qui harmonise le débourrement, les robots eux-mêmes et le chai.

Un vrai trésor ! Cela permet de proposer des vins issus de cépages 100% vitis vinifera non modifiées depuis plus d’un siècle, au minimum ! Suite à la loi interdisant aux domaines plus de 8 hectares dédiés à la production de boissons alcoolisées, le groupe a racheté des îlots un peu partout en Europe pour créer des domaines ex-nihilo et planter de vieux cépages avec les infrastructures idéales pour leur sauvegarde, et pas uniquement des hybrides.

Je remonte le long de la galerie pour atteindre le chai, au coeur du schiste. Pour ma dernière journée, je dois désalcooliser 50% de la cuvée qu’ils conditionneront pour la mise en vente la semaine prochaine. Depuis la loi de 2050 dite loi Onofro – Du vin pour tous, les domaines sont tenus de désalcooliser 50% de chacune de leurs cuvées et ont dû investir dans des CUMA dédiées. Heureusement la nôtre a localisé sa colonne à cône rotatif chez nous.

J’ignore comment je ferai chez mon prochain employeur. Enfin, je devrais dire, dans ma prochaine association. Je vais rejoindre un collectif dans les Alpes tyroliennes en polyculture. Ce sont les seuls à proposer aussi des vins issus de vieux vitis vinifera. Leur parcellaire est éclaté sur trois vallées et tous leurs versants pour limiter les aléas climatiques. Les drones gèrent les vignes qui vont bien et les hommes s’occupent de celles abîmées.

Ils n’ont pas d’autonomie énergétique mais leur collectif est suffisamment nombreux pour que leurs besoins soient limités. Ils font à l’ancienne, la plupart du temps, à l’énergie humaine et je crois même qu’ils arrivent à vendanger à la main ! Les seuls besoins sont ceux des drones et ils ne consomment pas beaucoup, surtout qu’ils sont sur batterie solaire ! Le groupe ne cherche jamais de main d’oeuvre, mais ses rendements sont vraiment limités.

J’ai tellement hâte ! Il faut que je trouve un moyen de récupérer quelques bouteilles en verre pour pouvoir les faire remplir et leur présenter les vins de mon domaine ! Je suis sûre qu’ils ne les connaissent pas. Je prendrai la version alcoolisée. Je n’aurai jamais assez de bouteilles pour emporter chaque cuvée dans ses deux versions… Les bouteilles vides de la famille sont parties avec mes parents lorsqu’ils ont accepté leur nouvelle mission.

Ils sont allés travailler au conservatoire des cépages. Après les grêles de 2034, le conservatoire a été immergé en Antarctique. Posé à 45 m de profondeur, il est accessible grâce à la navette Nargeolet. C’est un endroit magique. L’atmosphère contrôlée permet de ne pas traiter et de conserver dans des conditions optimales quelques pieds de milliers de cépages qui ne survivraient plus à la surface. Des turbines assurent leur autonomie énergétique.

Quand on parle du loup, un message sur mes lunettes : «Ma chérie, ton père a eu un accident de décompression, il est encore paralysé. À 78 ans, je n’arrive pas à assurer nos deux missions. Tu es toujours libérée demain ? Nous rejoindre te fera perdre tous les points d’énergie que tu économisais pour rejoindre ton futur poste mais je ne vois pas d’autres solutions. Honorer son contrat est le seul moyen pour qu’il soit soigné ! Réponds-moi vite !»


Emilie Tourette-Brunet @tourbrune

Publié par @Vinofictions en novembre 2023

🛸 Autrice #1, veuillez décliner votre identité :

Emilie Tourrette Brunet, vigneronne, 7e millésime en chargement
Conduite en AB, la Tour Brune est un domaine viticole de 3,8 hectares en Anjou noir, parcelles enherbées de chenin, pineau d’aunis, cabernet franc, cabernet sauvignon, gamay et grolleau noir : du schiste, des jeunes arbres, de l’herbe et des vieilles vignes… Des amis, un chien, des moutons à l’occasion et une basse-cour y égaient la vie végétale.

🛸 « Pecca » : d’où vous est venue cette idée ?


Ce texte est issu d’un texte plus long, d’une histoire plus développée qui a lentement mûrie suite à l’invitation à participer à ce projet. Peccadille la caviste est devenue Pecca la vigneronne. Mais attention, Peccadille ne demande qu’à reprendre le contrôle. Pour les inspirations, l’actualité en regorge. Mon arrivée récente dans ce monde du vin et les changements dont tous témoignent, m’ont poussée à conserver la curiosité des débuts et l’envie d’aller plus loin, d’expérimenter, de comprendre, de projeter.

🛸 Des livres, films, artistes qui vous ont inspiré ?


Précontinent du commandant Cousteau
@Radiovino et notamment, Montmorot – La Cabrery
Ken Liu (jardins de poussière…)
Liu Cixin et d’autres nombreux, très nombreux auteurs…
Dans les films, Andrew Niccol (Time out) évidemment.